En 2007, le premier ministre Stephen Harper a ciblé l’Amérique latine comme une priorité en matière de politique étrangère. Il a nommé un ministre d’État pour les Amériques, puis entrepris une visite hautement médiatisée dans la région.
Or, le bilan indique qu’à ce jour, les actions du Canada ont visé presque exclusivement le commerce, et ce, au détriment d’un réel engagement à l’égard d’enjeux aussi importants que le développement, la sécurité, la responsabilité des entreprises, la gouvernance démocratique et les droits de la personne.
L’approche étroite du Canada risque de ne pas être bien reçue lors du prochain Sommet des Amériques, qui aura lieu cette fin de semaine en Colombie. En effet, elle va à l’encontre de la philosophie d’un nombre croissant de gouvernements – des pays comme le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, l’Équateur, le Pérou, le Paraguay et la Bolivie – qui veulent répondre aux besoins de coopération et d’intégration hémisphérique à l’aide d’approches nouvelles et locales. La présence du premier ministre Harper au Sommet, auquel 34 chefs d’État sont invités, lui donne une occasion d’annoncer que le Canada est prêt à rectifier le tir.
Durant les mois qui ont précédé le Sommet, le gouvernement a consulté des douzaines d’organisations de la société civile canadienne. Ces groupes comptent des années d’expérience en Amérique latine, et ont tissé des liens à l’échelle des Amériques avec des milliers d’organisations axées sur les femmes, le travail, les droits de la personne, les agriculteurs, la religion et les autochtones. D’ailleurs, la société civile a livré au gouvernement canadien diverses recommandations dans le but d’améliorer la stratégie pour les Amériques.
À quoi ressemblerait une stratégie renouvelée pour les Amériques? Celle‑ci s’appuierait sur quatre éléments clés : le conditionnement des accords de libre-échange (ALE) au respect des normes internationales en matière de droits de la personne; la promotion active de la gouvernance démocratique; l’importance primordiale accordée à la responsabilité des entreprises; et finalement, la recherche de solutions autres que la militarisation aux problèmes de drogue et de criminalité.
Tout d’abord, le Canada s’abstiendrait de conclure des ALE avec des pays ayant un bilan négatif en matière de droits de la personne. Les ALE ont tendance à faire augmenter les types d’investissements les plus susceptibles d’engendrer la violence et les déplacements forcés; l’or, le pétrole et les plantations destinées à la production de biocarburants en sont de bons exemples. L’an dernier, le Canada a signé un ALE avec la Colombie, malgré la présence généralisée de groupes paramilitaires qui chassent par la force les gens de leurs terres pour que soient menés à bien des projets lucratifs. La Colombie est le pays plus dangereux au monde pour les dirigeants syndicaux, ce qui a un fort impact sur la capacité des travailleurs de maintenir ou d’améliorer leurs conditions de travail.
Quant à la promotion de la gouvernance démocratique, elle s’est jusqu’ici faite très discrète, même si elle figurait en 2007 parmi les trois piliers de la stratégie pour les Amériques. Prenons l’exemple du Honduras : depuis le coup d’État de juin 2009, ce sont des centaines d’opposants au régime qui ont subi de l’intimidation, fait l’objet d’arrestations arbitraires, disparu, été torturés ou tués. Plutôt que de condamner ces violations et de travailler à une amélioration notable de la situation, le Canada a fait comme si de rien n’était en signant un ALE avec le Honduras et en endossant de façon univoque sa Commission vérité pourtant fort critiquée.
Notons également que cette nouvelle stratégie pour les Amériques accorderait une plus grande importance à la responsabilité des entreprises canadiennes établies en Amérique latine. Dans cette région, les sociétés minières d’ici détiennent plus de 50 % du marché de l’exploration minérale. En tant que chef de file dans ce marché, le Canada doit aussi prendre l’initiative pour résoudre les problèmes sociaux et environnementaux que cause si souvent l’industrie extractive. D’ailleurs, la société civile recommande depuis longtemps que la responsabilité des entreprises soit encadrée par la règlementation et les lois canadiennes. Le projet de loi C-300, rejeté de justesse par le Parlement en 2010, aurait permis de faire un pas significatif dans cette direction.
Enfin, une nouvelle stratégie pour les Amériques permettrait d’analyser les causes profondes des problèmes de drogue et de criminalité dans les Amériques, en plus de reconnaître que les approches militaires nuisent souvent à la sécurité publique. Depuis 2006, année de déclaration de la guerre contre la drogue au Mexique, on note une hausse sans précédent du crime et de la violence au pays : plus de 47 000 personnes y ont connu une mort violente au cours des cinq dernières années. Chaque jour, des citoyens innocents sont pris entre deux feux, sans compter que la guerre contre la drogue devient souvent une excuse pour profiter de l’impunité et accroître la violence envers les femmes.
Le Sommet des Amériques donne une excellente occasion au Canada d’annoncer un engagement plus vaste et plus authentique envers l’hémisphère, et par le fait même, de retrouver son statut de champion international des droits de la personne. Saura-t-il la saisir?
Auteurs
Beatriz Gonzalez, coprésidente du Groupe d’orientation politique pour les Amériques et chargée de projets dans le programme des Amériques d’Oxfam Canada
Rachel Warden, coprésidente du Groupe d’orientation politique pour les Amériques et coordonnatrice du programme Partenariats en Amérique latine de KAIROS
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